mardi 13 janvier 2009

Guerre à Gaza : "Il y a deux champs de bataille, un sur le terrain et un sur le Web"

Interview d'Ouriel Ohayon, rédacteur en chef de Techcrunch France et blogueur vivant à Tel-Aviv.

photo de arikfr

Assiste-t-on à une guerre des images sur internet ?

Ce n'est pas une guerre des images, c'est une guerre tout court. Il y a deux champs de bataille, un sur le terrain, par une armée contre une armée non organisée mais bien réelle, et un sur un territoire d'expression libre et ouvert à tout le monde, le Web. Or, pour la première fois dans une guerre, le gouvernement israélien a décidé, à juste titre, de mieux commmuniquer avec sa population et ceux qui s'intéressent au sujet [NDLR : voir groupe youtube de Tsahal]. Avec les nombreux canaux d'expression qui permettent à chacun de donner son avis, cela a donné une autre dimension à la guerre. Et c'est une vraie bataille, dans la mesure où des hackers, affiliés ou pas au hamas, piratent des sites israéliens.

Ce type d'actions existe-t-il dans l'autre sens aussi ?

Oui, mais ce n'est pas une tentative de piratage, c'est une manière de répondre. En Israël, les sites piratés sont des sites de banques ou d'hôpitaux, alors que dans l'autre sens il s'agit de sites eux-mêmes pirates, du Hamas.

Les guerres médiatiques et virtuelles sont-elles liées ?

Elles sont parallèlles, et d'une égale importance. L'influence n'est qu'indirecte. Les faits sur le terrain ont un impact sur internet via les images et les messages, et ce que les gens disent sur la toile peut avoir un impact sur l'opinion publique, mais qui ne doit pas être surestimé.

Quel est l'enjeu de cette guerre virtuelle dans ce cas ?

C'est un enjeu informel, d'abord sur l'opinion publique. il faut minimiser l'impact de la guerre, or Israël part avec d'énormes handicaps sur internet : on pratique la censure naturelle de tout ce qui a rapport avec la guerre, pour protéger l'armée et pour respecter la vie privée et les morts. Jamais on ne montre les morts à a télévision, contrairement au Hamas qui n'a aucune pudeur.

Que pensez-vous des vidéos qui circulent sur des enfants pris comme boucliers par le Hamas ?

C'est un fait, prouvé, éprouvé, le Hamas utilise des enfants comme boucliers humains, des Palestiniens eux-même en témoignent. Toutes les vidéos ne le montrent pas de manière forcément claire, mais c'est une réalité qu'on ne peut pas nier.

Sur votre blog, vous conseillez au gouvernement de laisser des bloggeurs aller en reportage avec l'armée. Pourquoi des blogueurs et pas des journalistes ?

Cela permettrait de donner un accès à des zones pas forcément couvertes, parce que la censure, à force, se nuit à elle-même. Il y a des volontaires, pas forcément des civils, mais plutôt des militaires, qui pourraient aller sur le terrain : dans des villes qui subissent des bombardements, à la frontière, dans des camps en zone sûre... Sans se mettre en danger.
Laisser aller des gens dont la profession n'est pas de faire du reportage aurait un impact bien plus fort que le reportage lui-même, car il serait fondé sur le principe de la réalité, retransmise à l'état brut sans filtre, avec des points de vue subjectifs, pas anesthésiés, en transparence totale. Beaucoup de gens pourraient se les approprier et les relayer.

Est-ce que les images des victimes palestiennes sont diffusées sur les chaînes israéliennes ?

Bien sûr, et ces pertes de civils sont toujours vécues de manière dramatique des deux côtés. Contrairement à ce que l'on peut imaginer, et à ce qui se passe du côté du Hamas, on ne fait pas la fête quand on voit des enfants morts.
Mais Tsahal cible uniquement des zones armées. Malheureusement Gaza a une forte densité humaine, et les victimes civiles constituent une réalité dans toute guerre. D'autant plus quand les civils sont utilisés comme boucliers. Hier encore on a découvert une école palestinienne piégée avec 200 kilos d'explosifs, et aussi une mosquée... Dans le but d'avoir des images choquantes à montrer.
Soyons clairs : si Israël le voulait, avec la puissance de feu dont elle dispose, elle
aurait rayé Gaza de la carte depuis très longtemps.

Le Hamas peut-il perdre sur le terrain et gagner sur la toile ?

Même s'ils gagnent la guerre des images, la sympathie à court terme c'est bien, mais les gens ont peu de mémoire, ils manifestent maintenant, mais après ils vont oublier à nouveau. Peu de personnes ont vraiment le souci de ce que les Palestiniens vont vraiment devenir au bout du compte.

C'est un des enjeux de l'affrontement sur la toile ?

Ce n'est pas tellement une guerre contre le terrorisme qui se passe sur le web, c'est une guerre contre l'ignorance, c'est aberrant de voir que les gens réagissent sans connaître le contexte. Ils sont surexposés à des images chocs, sans comprendre qui a été tué par qui. L'enjeu est de lutter contre la paresse intellectuelle.

Propos recueillis par Julie Jammot

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